"La Musique met l'âme en harmonie avec tout ce qui l'entoure." Oscar Wilde
(suite de "Ils nous ont quitté aujourd'hui"...)
2) Alexadre Dumas en 1870
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Les trois mousquetaires |
Alexandre Dumas est né le 24 juillet 1802 (5 thermidor de l’An X), la
même année que Victor Hugo, de cinq mois son aîné. C’est le bicentenaire
de deux écrivains majeurs de langue française que l’on commémore cette
année. Tous deux sont fils de généraux, tous deux ont eu la passion
d’écrire, mais si Victor Hugo est enseigné dans les écoles, Alexandre
Dumas se lit plutôt durant les vacances, et ses récits où les faits
historiques se mêlent au roman, ont pu donner le goût de l’Histoire de
France à bien des universitaires, même s’ils ne l’avouent pas.
D’où lui vient ce talent, cette imagination, cette envie de raconter des
histoires ? Faut-il les rechercher dans les origines lointaines de ce
jeune quarteron de la deuxième génération en imaginant qu’un lointain
griot de ses ancêtres lui a légué ses dons ? Faut-il penser que la
Révolution française et les conquêtes napoléoniennes ont résonné à ses
oreilles d’enfant comme des épopées où la gloire, les drames et les
intrigues ressemblent à du théâtre vécu ? Son père, le général
Thomas-Alexandre Dumas mourut en 1806, alors que le petit garçon n’avait
que quatre ans. A-t-il eu le temps de lui raconter ses batailles et ses
conduites héroïques ? A-t-il rappelé ses premières années à Saint
Domingue, où il n’était que le fils de Césette, la négresse-compagne de
son père, et où l’on parlait de lui et de ses frères et soeurs comme «
ceux du mas », les marmots du sieur Delisle, en vérité Davy de la
Pailleterie ?
Un vrai roman que cette histoire de famille. Ce grand-père, Alexandre
Davy de la Pailleterie, n’est pas très recommandable. Fils aîné de la
bonne bourgeoisie normande, il est venu rejoindre son frère cadet à
Saint Domingue, un île à l’époque occupée par les Français et les
Espagnols où l’on exploite la canne à sucre... et les hommes qui la
coupent. Le cadet Charles s’est établi dans l’île et se donne le plus
grand mal pour accroître ses biens. Alexandre qui n’a pas envie de se
fatiguer, se laisse entretenir par son frère qui le lui reproche
souvent. Un beau jour de 1748, il disparaît avec trois serviteurs de son
frère et va se réfugier dans un coin de l’île où il prend le pseudonyme
de Delisle. Que faire de ces esclaves sinon les échanger contre une
belle femme qui peut partager le lit du maître ? Césette Marie sera
celle-ci. Elle lui donnera quatre enfants.
Thomas Alexandre Dumas-Davy est un bel enfant au bronzage clair et aux
cheveux bouclés. Tandis que son père dilapide la fortune familiale, il
étudie. Nul doute qu’il songe à sa mère, restée à Saint-Domingue, et à
laquelle il rend hommage en choisissant de porter son nom de Dumas. Le
vent de la Révolution française souffle sur l’île et l’esclavage est
remis en cause. Thomas-Alexandre qui se veut républicain s’est engagé
dans l’armée et s’y comporte en héros. Il va vivre les événements
successifs des guerres révolutionnaires et le début de l’Empire. Si sa
couleur de peau lui a valu quelques réflexions racistes, elle ne lui a
jamais nui auprès des femmes, bien au contraire. Le jeune militaire a su
plaire, et en particulier à la fille d’un hôtelier, Marie Labouret, qui
deviendra son épouse et la mère de ses enfants. C’est à elle qu’il
contera son enfance, ses origines, son passé à Saint-Domingue et c’est
par son intermédiaire que le futur écrivain connaîtra le roman des Dumas
et des Davy de la Pailleterie.
Alexandre Dumas, dans ses Mémoires racontera les exploits de son père
avec fierté. A Bonaparte qui voulait envoyer le général mater la révolte
menée par Toussaint-Louverture à Saint-Domingue, l’officier répondit : «
Citoyen Consul, vous oubliez que ma mère était une négresse. Comment
pourrais-je vous obéir ? Je suis d’origine nègre. Je n’irai pas apporter
la chaîne et le déshonneur à ma terre natale, et à des hommes de ma
race. » Le militaire a transmis à son fils sa bravoure et son goût du
risque, mais aussi sa vitalité et son sens de l’honneur. Le petit
Alexandre qui voit son père mourir en 1806, alors qu’il n’a que quatre
ans, reçoit cet héritage moral et intellectuel. Les qualités qui ont
contribué à la réussite de l’homme d’armes, vont faire celle de l’homme
de plume.
Alexandre, comme son père, est un beau jeune homme aux cheveux bouclés,
blonds dans sa jeunesse, puis foncés par la suite. Lui aussi plaît aux
femmes, et toute sa vie il va en user et en abuser. Ce n’est pas l’armée
qui le tente, et le sang chaud qui est le sien le pousse davantage dans
les plaisirs de la vie que dans l’héroïsme paternel ou dans le calme
bourgeois de la famille Labouret. Alexandre aime le théâtre, il y
passerait volontiers sa vie. Et c’est le théâtre qui va le faire
connaître et dévoiler ses dons pour l’écriture.
Arrêtons-nous un instant sur cette époque si riche en talents
artistiques et dont l’influence se fera sentir sur le bouillant
Alexandre. Le romantisme est né en France avec Lamartine qui publie en
1820 ses Méditations poétiques. Le roman historique a trouvé son premier
auteur avec Walter Scott qui, en Angleterre a fait éditer Ivanhoe. Le
public allemand applaudit les symphonies de Beethoven, tandis qu’en
France, Berlioz enthousiasme les romantiques. Des artistes, comme
Delacroix, peignent la passion et la violence ; bientôt Balzac analysera
la société avec sa Comédie humaine et, au théâtre, Victor Hugo
déchaînera les foules en faisant jouer Hernani. En cette première moitié
du XIXe siècle, les grandes lignes de l’évolution culturelle de
l’Europe se dessinent, et le fils du général va y insérer son talent.
Ce n’est pas Victor Hugo qui a ouvert la voie au théâtre historique mais
Dumas, en présentant au Théâtre français une pièce intitulée Henri III
et sa cour qui, en 1829, lui vaut la notoriété. Homme de théâtre Dumas ?
Oui, oh combien ! Même si son œuvre est de valeur inégale, son
tempérament fougueux, son goût de la démesure, son activité débordante
le portent à imaginer, à créer, à faire passer dans le public le feu qui
couve sous sa plume. Où puise-t-il son inspiration ? Partout ! Auprès
de ses amis, des femmes, dans la légende familiale et surtout dans
l’Histoire. Dumas se tourna vers le passé pour y composer ses chefs
d’œuvre. Il passionna ses lecteurs avec Les Trois Mousquetaires (1844),
Vingt Ans après ( 1845), Le collier de la reine (1849) et bien d’autres
récits qui continuent d’intéresser la jeunesse et de donner au cinéma
ses meilleurs scénarios. La Reine Margot et surtout Le Comte de
Monte-Cristo incarné récemment par Gérard Depardieu montrent que les
oeuvres d’Alexandre Dumas poursuivent leur trajectoire.
Héritier d’une histoire, d’un métissage qu’il assuma avec orgueil, d’un
tempérament effervescent, Alexandre Dumas est un inventeur fécond, un
créateur d’images, au verbe coloré, comme en témoignent deux anecdotes
qui lui sont imputées : A quelqu’un qui lui reprochait d’avoir violé
l’Histoire, il aurait répondu « oui mais je lui ai fait de beaux enfants
». A un autre qui faisait allusion à son ascendance noire, il aurait
répliqué « Mon père était mulâtre, mon grand père était un nègre, et mon
arrière-grand-père était un singe ; vous voyez monsieur que ma famille
commence par où la vôtre finit. » Vraies ou fausses, ces répliques
correspondent bien à l’humour et au panache de ce fils du général.
Si certains critiques littéraires ont porté sur lui des jugements
sévères, lui contestant une place éminente dans la littérature,
d’autres, comme son contemporain et ami Victor Hugo, ont témoigné de son
talent. Dans une lettre, adressée à son fils, il résume bien ce que
Dumas a apporté à la littérature : « Alexandre Dumas séduit, fascine,
intéresse, amuse, enseigne.... Toutes les émotions les plus pathétiques
du drame, toutes les ironies et toutes les profondeurs de la comédie,
toutes les analyses du roman, toutes les intuitions de l’histoire sont
dans l’œuvre surprenante construite par le vaste et agile architecte... »
Mais le meilleur hommage rendu à un auteur n’est-il pas celui des
lecteurs qui, aujourd’hui encore, lisent avec passion les oeuvres issues
de l’imagination de ce conteur d’histoire ?